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INTERVIEW LCR
Paris, le 7 février 2012

Interview Lucio Cecchinello : ''les CRT ne sont pas l'avenir du MotoGP''

Interview Lucio Cecchinello : ''les CRT ne sont pas l'avenir du MotoGP''

Dans une interview accordée à Moto-Net.Com, le team manager de l'équipe LCR-Honda en MotoGP revient sur la saison 2011, dévoile ses objectifs 2012 avec Stefan Bradl et envisage l'avenir de la catégorie reine de la moto. Rencontre avec Lucio Cecchinello.

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Interview de Lucio Cecchinello

Moto-Net.Com : Vainqueur d'un superbe mano a mano face à Rossi en 2006 et champion du monde Moto2 en 2010, Toni Elias est passé complètement à côté de sa saison MotoGP 2011 (15ème au général et deux huitièmes places comme meilleur résultat). Comment l'expliquez-vous ?

Lucio Cecchinello : Ce fut une saison extrêmement difficile pour notre team. Nous avons fait tout notre possible - et plus encore ! - pour offrir une moto compétitive à Toni. En seize ans d'expérience, jamais LCR n'a fourni autant de travail pour tenter de trouver des solutions ! Hélas, rien n'y a fait car le souci principal provenait à mon avis des pneumatiques : Toni n'arrivait pas à les mettre en température en raison de son petit gabarit et de son style de pilotage spécifique, très déhanché. Selon nos données recueillies par la télémétrie embarquée sur notre RCV, ses pneus étaient toujours de 15 à 20°C plus froids que ceux des autres pilotes MotoGP...

Malgré toutes nos interventions sur le châssis, nous ne sommes jamais parvenus à trouver un réglage lui permettant de mettre en température ses pneus. Selon moi, le style de pilotage de Toni était tout simplement incompatible avec la nouvelle génération de Bridgestone : notre team n'est pas devenu incompétent en l'espace d'une saison, pas plus que Toni n'a perdu de sa capacité à aller vite !

J'en ai discuté avec les techniciens Bridgestone et aussi de chez Michelin, qui m'ont confirmé que Toni n'avait jamais pu utiliser des pneus aussi durs que les autres pilotes. Il a besoin d'un pneumatique avec une carcasse plus molle, qui monte plus vite en température. Mais comme le règlement impose dorénavant les mêmes pneus pour tous, il n'était pas possible de lui faire construire un modèle plus adapté à ses besoins.

M-.N.C. : Mais vu qu'il roulait nettement moins vite que ses concurrents (en moyenne, Toni Elias rendait presque 2,5 secondes au meilleur tour en course), n'est-ce pas finalement assez logique qu'il ne parvienne pas à faire chauffer ses pneus ?
L. C. : Exactement, c'était un cercle vicieux ! Toni n'arrivait pas à rouler vite car il ne parvenait à faire chauffer les pneus, donc la moto glissait. Mais faute de vitesse, les pneus ne subissaient pas assez de contraintes - notamment verticales - pour entrer dans leur plage de température idéale de fonctionnement.

M-.N.C. : En fin de saison, vous aviez le choix entre plusieurs pilotes pour 2012 (Alvaro Bautista, Andrea Dovizioso, Stefan Bradl, mais aussi Randy de Puniet qui a déjà couru avec succès chez LCR en 250 et en MotoGP). Pourquoi avez-vous choisi le jeune pilote allemand ?
L. C. : Lorsque nous avons commencé à réfléchir au pilote que nous ferions rouler en 2012, nous avons immédiatement consulté le HRC (le service compétition de Honda). Car le team LCR n'est pas qu'un client du HRC, nous recevons aussi un support de Honda Motor qui a donc son mot à dire sur le choix des pilotes.

Honda nous a communiqué une liste de noms en haut de laquelle figurait Dovizioso. Malheureusement, nous n'étions pas en mesure de répondre aux exigences d'Andrea, car il souhaitait accéder aux mêmes spécifications techniques que les RCV officielles. Or nous disposons de la même moto qu'au HRC, mais nous ne recevons les dernières évolutions que lorsqu'elles ont été testées et approuvées par le team officiel.

Comme cela ne convenait pas à Andrea (qui a finalement préféré rebondir chez Yamaha Tech3, NDLR) , nous avons étudié la possibilité de faire rouler de nouveau Randy dans notre structure. Avec lui, nous avions la garantie d'avoir un pilote rapide et un certain niveau de résultats car Randy est sans doute l'un des pilotes les plus talentueux que j'ai jamais connus dans ma carrière. Mais pour être totalement honnête, j'ai reçu des "indications" de Honda qui trouvait préférable de mettre en place un projet avec un jeune pilote sur une durée de deux ans, plutôt qu'avec Randy qui avait déjà bénéficié de cette opportunité. En définitive, Honda ne m'a pas obligé à signer Bradl, mais nous sommes conscients que notre structure est petite et que pour assurer son développement, il vaut mieux accéder aux demandes de notre partenaire principal...

M-.N.C. : Stefan Bradl bénéficie aussi du soutien d'un gros sponsor avec Viessmann, une entreprise de chauffage allemande. Est-ce que ça a joué en sa faveur ?
L. C. : Non, l'accord avec Stefan n'est absolument pas lié à son sponsor. D'ailleurs, Viessmann ne le soutiendra plus en 2012 car ils préfèrent concentrer leurs budgets de communication sur les sports d'hiver. Maintenant, c'est évident que cela n'aurait pas été pour me déplaire qu'ils viennent en MotoGP ! Mais je suis plutôt fier de pouvoir dire que nous n'avons jamais choisi un pilote simplement pour décrocher un nouveau sponsor.

M-.N.C. : Quels sont vos objectifs en 2012 ?
L. C. : Nous devons être réalistes. Il y a quelques pilotes qui sont des "monstres" sur la grille MotoGP comme Stoner, Lorenzo, Pedrosa et - si la Ducati est compétitive - Rossi. Juste derrière il y a Ben Spies, Nicky Hayden et Andrea Dovizioso : cela fait déjà sept pilotes extrêmement doués. Dans ces conditions, atteindre la sixième place est déjà un résultat fantastique pour notre structure. De manière objective, terminer le championnat entre la sixième et dixième place serait déjà une très bonne chose, d'autant qu'en début de saison Stefan va peut-être plus souvent finir vers la dixième place qu'à la sixième.

M-.N.C. : Comment avez-vous perçu Stefan Bradl lors de ses essais de votre RC212V après le GP de Valence 2011 ?
L. C. : A Valence, nous sommes rendus compte que nous avions affaire à un pilote très intelligent : il est capable d'expliquer et de faire partager ses sensations, de regarder et comprendre les données de la télémétrie mais aussi d'exprimer des exigences construites. C'est quelque chose qui nous a immédiatement impressionnés.

En outre, il a réalisé de bons chronos pour une première séance MotoGP : sans qu'il soit nécessaire d'effectuer de gros changements sur la moto, il a tourné plus vite que Toni qui a pourtant plus d'expérience. Et surtout, nous avons eu la satisfaction de voir que les freins, les pneus et les suspensions ont de nouveau travaillé correctement et que Stefan s'était bien acclimaté aux exigences d'une MotoGP.

D'après les enregistrements embarqués, il accélère et freine aux bons moments. Il lui manquait juste un peu de vélocité dans les virages les plus rapides, mais c'est parfaitement normal : lorsque tu es lancé à plus de 250 km/h sur une moto que tu ne connais pas et que ses pneus se mettent à glisser, ça demande un peu d'expérience pour en cerner les limites !

Les performances des MotoGP

Récemment, Karel Abraham du team Ducati Cardion AB a laissé "fuiter" des infos technique sur sa Ducati GP12 (lire MNC du 25 janvier 2012). D'après le pilote tchèque, la Desmosedici développerait 250 ch, serait capable de couvrir le 0 à 100 Km/h en 2,6 secondes et d'atteindre 360 km/h.

Interrogé par MNC, Lucio Cecchinello est resté plus évasif à propos des performances de la Honda RC213V : l'Italien nous a seulement confirmé que le V4 de 1000 cc est encore plus puissant et coupleux que le V5 de 990 cc de feu la RC211V, et que sa vitesse maxi flirtait effectivement avec les 360 km/h. Le team manager nous a cependant confié que la nouvelle Honda pourrait sans doute abattre le "0 à 100 km/h" en moins de 2 secondes, puisque Dani Pedrosa a déjà réalisé l'exercice en 2,05 sec avec sa RCV officielle de 800 cc en 2011 !

M-.N.C. : En 2012, des motos propulsées par des moteurs de série appelées Claiming Rule Teams (CRT) s'opposeront aux MotoGP 100% prototypes. Qu'en pensez-vous ?
L. C. : Nous devons faire preuve de réalisme. L'économie mondiale va mal et les gouvernements n'auront peut-être pas les moyens de payer les retraites de millions de travailleurs... Or notre sport coûte très cher et les entreprises qui le soutiennent réduisent leurs investissements à cause de cette crise. Dans ces conditions, nous étions obligés de trouver des solutions comme les CRT pour abaisser les coûts en MotoGP, mais aussi pour assurer le spectacle durant cette période délicate (sans les CRT, la grille n'aurait compté que douze MotoGP en 2012 avec 4 Honda RC213V, 4 Yamaha YZR-M1 et 4 Ducati GP12, NDLR). Ceci dit, je ne pense pas que les CRT constituent l'avenir du MotoGP. Selon moi, l'avenir de la catégorie reine passe par des MotoGP 100% prototypes soumises à des règlements techniques plus restrictifs pour limiter les envolées budgétaires, à l'image de ce qui se pratique en Formule 1.

Cela peut prendre la forme d'une limitation du nombre de moteurs comme nous l'avons déjà mis en place (actuellement six blocs par pilote et par saison, NDLR), mais aussi d'une limitation du régime maxi des moteurs, ou encore d'une restriction des matériaux et des technologies employés.

Par exemple, est-ce que nous avons vraiment besoin de moteurs capables de prendre 20 000 tr/mn grâce au système de rappel de soupapes pneumatique, alors que cette technologie très coûteuse à développer ne sera jamais transposable sur une moto de série ? Il vaudrait peut-être mieux utiliser tout cet argent pour développer des évolutions qui bénéficient à toute la communauté, comme des technologies permettant de réduire les rejets de CO2 et donc l'impact environnemental des MotoGP. Cela permettrait aux constructeurs de rationnaliser leurs budgets consacrés en recherche et développement, car cela profiterait directement à leur production de série.

M-.N.C. : Cette restriction technologique doit-elle aussi passer par la mise en place d'une centrale de gestion électronique (ECU) unique pour toutes les MotoGP ?
L. C. : Absolument, et c'est d'ailleurs l'une des solutions régulièrement proposées pour réduire les coûts (lire notamment MNC du 2 février 2012 : Dorna cherche à faire des économies , NDLR). Mais cela pose un problème aux constructeurs engagés, car l'électronique constitue aujourd'hui l'un des facteurs clés de la compétitivité en MotoGP...

M-.N.C. : Mais si réduire la technologie des MotoGP est compliqué et divise les opinions, les CRT ne sont-elles pas la solution la plus simple pour contenir les coûts et remplir la grille ?
L. C. : Aujourd'hui, c'est vrai que les CRT sont moins onéreuses qu'une MotoGP 100% prototype. La Suter-BMW (châssis construit par Suter et moteur de S1000RR préparé, comme celle que pilote Colin Edwards, NDLR) coûte environ deux fois moins cher qu'une Ducati GP12 ou une Yamaha YZR-M1. Et la différence est encore plus grande avec la Honda RC213V qui est plus chère (les MotoGP seraient actuellement louées entre 2 et 2,5 millions d'euros par saison aux teams privés, NDLR). Mais à l'avenir, pour être plus compétitifs face aux MotoGP, les teams CRT devront développer leurs machines. Pour cela, ils seront obligés de faire des essais pour mettre au point leurs motos, ils devront tester et valider différentes solutions techniques, etc. Dans ces conditions, le prix d'une CRT va très vite augmenter ! Et si l'on se retrouve dans un futur proche avec un écart disons de seulement 500 000 euros entre une CRT et une MotoGP 100% prototype, je ne suis pas sûr que cela en vaille vraiment la peine...

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